Alors que la concertation nationale sur la réforme de la santé au travail, entre les partenaires sociaux, a échoué cet été, le sujet semblait être au point mort. C’est sans compter sur la commission des affaires sociales du Sénat qui a décidé de se saisir de la question et de publier un rapport qui identifie des pistes afin d’améliorer la prévention des risques professionnels et de créer un service universel de « santé au travail » uniforme sur le territoire (Rapport d’information du Sénat, commission des affaires sociales sur la santé au travail, 2 octobre 2019).
Clarifier la gouvernance de la santé au travail
Alors que le rapport Lecocq préconisait une fusion radicale des différents intervenants en prévention dont les services de santé au travail, le rapport du Sénat est beaucoup moins percutant. Pourtant le constat est partagé quant à l’illisibilité du système de gouvernance.
Les sénateurs proposent d’instaurer un pilotage national de la santé au travail au sein d’une agence nationale de la santé au travail, qui aurait pour missions :
•d’établir un référentiel de certification des services de santé au travail ;
•de leur fournir un éventail d’outils d’intervention en matière de prévention ;
•et d’instaurer un seul et même système d’information dans les SST.
Cette agence serait issue de la fusion de l’ANACT et des différents organismes de prévention tels que l’INRS. Mais les services de santé n’y seraient pas intégrés, conservant a priori leur existence propre. Deux piliers seraient alors au service de la santé au travail : les SST et l’Agence nationale de la santé au travail.
Des conventions de partenariats pourraient être conclues entre ces deux piliers, afin de renforcer leur collaboration et clarifier la répartition des rôles et compétences de chacun.
Instaurer un suivi médical pour tous les travailleurs
Constatant que certains travailleurs, notamment non-salariés, ne bénéficient d’aucun suivi ou d’un suivi santé travail inadapté, les sénateurs proposent d’instaurer un suivi en santé travail obligatoire pour tous les travailleurs, salariés ou non-salariés.
Sont particulièrement visés :
•les chefs d’entreprise et les travailleurs indépendants : les chefs d’entreprise seraient de facto suivis par le service de santé auquel ils doivent déjà adhérer pour le suivi de leurs propres salariés, sans surplus de cotisation. Les travailleurs indépendants pourraient, quant à eux, être rattachés de manière obligatoire à un SSTI de leur choix et les modalités de financement seraient déterminées avec les responsables des travailleurs indépendants, la DIRECCTE et les représentants des SST du bassin d’emploi concerné ;
•ainsi que les intérimaires et les salariés mis à disposition. Les intérimaires seraient suivis par un SST unique, par branche et bassin d’activité. Les salariés mis à disposition seraient eux intégrés, le temps de leur mission, aux effectifs de l’entreprise utilisatrice laquelle aurait en charge de leur faire bénéficier du même suivi que leurs propres salariés permanents.
Dynamiser les ressources financières et humaines de la santé au travail
Un financement à assouplir…
Exit le recouvrement des cotisations par les URSSAF tel que proposé par le rapport Lecocq ! La commission des affaires sociales propose de laisser le soin aux SSTI de fixer leur cotisation en tenant compte d’autres critères que le seul nombre de salariés, dans un cadre défini notamment par le contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM) conclu entre les SSTI, la CARSAT et la DIRECCTE.
A ce jour le calcul des cotisations dues aux SSTI – et à la charge des employeurs – sont fixées par le Code du travail, le montant devant être, d’une part, proportionnel aux montants des dépenses engagées par le service et, d’autre part, fixé sur la masse salariale de l’entreprise. Or ce mode de calcul est très peu appliqué en pratique.
Le rapport insiste également sur la nécessité de renforcer les moyens de conseils et de contrôle des CARSAT et des SSTI. A cet effet, il préconise d’autoriser les CARSAT à financer directement et intégralement des dispositifs de prévention pour les TPE et, en contrepartie, de renforcer la périodicité des contrôles effectués par les CARSAT sur les entreprises concernées.
Une main d’œuvre médicale à (re)mobiliser
Constatant la pénurie croissante de main d’oeuvre médicale et notamment de médecins du travail, le rapport propose, pour mobiliser de nouvelles ressources humaines :
•de recourir à des médecins non spécialisés en médecine du travail pour assurer le suivi médical des salariés. Cette faculté serait réservée aux zones sous-dotées en médecins du travail et conditionnée à la signature d’un protocole de collaboration entre le SST et lesdits médecins ;
•d’élargir le champ de l’exercice infirmier en santé travail. Le médecin du travail étant en capacité de déléguer, dans le cadre de protocoles écrits, certaines de ses missions notamment aux IDEST, le rapport préconise de développer l’expertise spécifique des infirmiers dits « en pratique avancée » dans le diagnostic de certains risques professionnels prioritaires comme les troubles musculo-squelettiques ;
•de mutualiser obligatoirement le personnel médical des services de santé au travail autonome et interentreprises, mutualisation réservée dans les zones où des écarts significatifs sont observés entre les effectifs de salariés suivis par un médecin du travail en SSTA et un médecin du travail en SSTI.
Faire de la santé au travail un levier politique de santé publique et de la prévention primaire
La prévention tout au long de la vie constituant un axe prioritaire de la stratégie nationale de santé 2018-2022, les rapporteurs souhaitent faire de la prévention primaire en santé au travail un levier politique.
A cet effet, il est notamment proposé de permettre une rédaction du document unique commune entre l’employeur, les représentants du personnel et le service de santé au travail.
Un rapprochement de la médecine de ville et du travail est avancé, notamment :
•par le rapprochement des SSTI et des centres de consultations de pathologie professionnelle ;
•en permettant un accès au dossier médical partagé (DMP) par le médecin du travail (et non seulement, comme c’est le cas aujourd’hui, une simple « alimentation » du DMP par le médecin du travail).
Les autres pistes du rapport sont axées sur une nécessité de revoir le système de reconnaissance des maladies professionnelles mais aussi d’améliorer la prévention des risques psychosociaux (RPS) au travail en accentuant la sensibilisation auprès des différents acteurs de la vie de l’entreprise, d’instaurer un psychologue du travail de manière obligatoire dans tous les SST ou d’y recourir par un autre biais.
Enfin, les SST seraient dotés de nouvelles missions dont celles d’évaluer la qualité de vie au travail (QVT) dans les entreprises adhérentes.