Tout le monde y va de ses prévisions pour « le monde d’après ». Allons-nous tirer les leçons de la pandémie ? Va-t-on protéger et renforcer le système de santé, les services publics et la protection sociale ? Intégrer les enjeux climatiques et environnementaux, prioriser la justice et le progrès social ? Ou va-t-on, au contraire, poursuivre une fuite en avant mortifère pour l’humanité comme pour la planète ? Concrètement, en Europe, l’aide aux économies nationales ou sectorielles sera-t-elle conditionnée à la poursuite de politiques d’austérité et de destruction des services publics conduisant à cette catastrophe ? Et, dans le monde du travail, tiendra-t-on compte des avertissements infligés par la crise sanitaire ?
Un virage serré mal appréhendé
À Orange, au début du confinement, le PDG avait répondu à nos interpellations sur le futur environnement du travail : la crise sera bien évidemment prise en compte. La covid-19 ayant mis en évidence la nocivité des open-space et du flex-office climatisés, véritables pépinières à microbes et à virus, nous pouvions espérer que la raison l’emporterait sur le diktat de la réduction des coûts immobiliers. Aujourd’hui, la loi du profit semble revenir en force. Manifestement, la direction prépare les personnels à ne plus avoir de poste attitré. Ainsi sous divers prétextes, dans plusieurs entités, les salariés de retour sur site ne sont pas autorisés à retrouver leur position de travail. Un récent sondage sur le télétravail pose des questions pour le moins orientées telles que : « accepteriez-vous que votre espace de travail soit mis à disposition d’autres salarié(e)s ? ». Et la première priorité proposée concernant l’évolution des espaces de travail est : « des positions de travail individuelles partagées car moins occupées et une réallocation au profit d’espaces collectifs et de convivialité (espaces collaboratifs, modulables, cafétéria..) ». La ficelle est énorme et ça promet pour la négociation démarrant en septembre pour « actualiser » l’accord télétravail ! Nous redoutons que la direction tente de remettre en cause nos acquis comme elle l’a fait pendant le confinement et le déconfinement, en instrumentalisant ceux-ci. Cette période a été émaillée de décisions calamiteuses assorties d’une communication en dents de scie – à l’image, il est vrai, des revirements gouvernementaux. Tout cela avec un souverain mépris des syndicats et des IRP, ce qui a sans doute signé une page sombre des relations sociales.
Premières dispositions : les agents ont le dos large !
Il y a d’abord eu la volonté d’imposer le vol de 6 JTL permis par les ordonnances issues de l’état d’urgence en plus de l’écrêtement de jours impossibles à prendre pendant le confinement, etc. Une raideur aussi martiale qu’infondée dans la gestion des congés, les déclarations présidentielles sur la guerre contre le virus y incitant. Alors qu’une souplesse renouvelée aurait montré la confiance accordée aux salariés et à leurs managers, à leur sens des responsabilités et à leur attachement à l’entreprise. Nous l’avons dit à la direction, nous n’avons pas été entendus. Le travail à domicile contraint adopté dans l’urgence, 5 jours sur 5, dans des conditions souvent très dégradées a également été très mal accompagné. Il a fallu se battre des semaines pour obtenir le principe d’une indemnisation des frais inhérents au travail à domicile, prime présente dans l’accord télétravail. Celle-ci a été réduite à 30 s bruts pour les seuls 2 mois de confinement alors que le télétravail reste pour beaucoup pratiqué jusqu’à fin août. Ce n’est qu’un exemple significatif du mépris dans lequel ont été traités les télétravailleurs. Et une fois encore, les femmes ont été les plus malmenées. Pour ne prendre qu’un exemple, les 6 JTL à prendre pendant le confinement n’ont pas été proratisés au temps partiel. La direction a répondu à nos demandes pressantes : « c’est leur choix » ! Or le temps partiel est bien souvent subi et, très majoritairement, féminin.
Tout cela a débouché sur un échec de la négociation sur l’accompagnement de la crise. Ajoutons également une décision aussi unique qu’inique, incluant en plus l’attribution parcimonieuse, opaque et injuste d’une « prime COVID » à moins de 8 000 salariés sur les 80 000 engagés dans la sauvegarde d’Orange, de ses activités et de ses missions essentielles pour le pays. Après la dramatisation de la « reprise » pour justifier les décisions sur les congés, le psychodrame de la situation commerciale et financière, malgré la confirmation de bons résultats, a été le leitmotiv pendant toute la négociation salariale qui a débouché sur… rien. Toutes les organisations syndicales refuseront de signer un accord indigne. à noter que la direction s’est glorifiée de ne pas recourir au chômage partiel pour justifier toutes ses autres mesures. Or à la sortie du confinement, elle a pris la peu glorieuse (discrète mais bien réelle) décision de pousser vers le chômage partiel les parents sans solution de garde.
Alors « être Orange demain » se traduira comment ?
Un détour par la villa Bonne Nouvelle, au top des futurs modes de travail, n’est pas inintéressant. Pour répondre au constat que 76 % des français ont regretté leur bureau après 10 jours de confinement, ses ingénieux ingénieurs ont planché sur le thème « L’entreprise se réinvente, ses bureaux aussi ! ». Ils préconisent de vieilles recettes comme l’éclatement du travail en plusieurs lieux et l’accélération du nomadisme… mais aussi cette nouvelle création : un double numérique immobilier et un avatar du salarié qui pourra interagir virtuellement avec les environnements de travail, les collaborateurs et les managers. Il est certain que des avatars de salariés évoluant dans des bâtiments virtuels, ça fait sérieusement baisser le coût immobilier devenu de leur propre aveu le « principal levier pour faire face à une nouvelle contrainte économique » ! FOCom demandait à revenir à des modes de travail sécurisants, la réponse ici est d’aller encore plus loin et plus vite dans la déshumanisation. On nous rétorquera qu’il ne s’agit que d’élucubrations de geeks hors sol. A Voir !
Lors du remaniement, mi-juin, du comité exécutif, le communiqué de la direction a expliqué que la « nouvelle équipe sera engagée autour de Stéphane Richard pour accélérer la mise en œuvre du plan stratégique du Groupe ». Ce qu’a confirmé la directrice d’Orange France, en lançant fin juin « quatre chantiers pour construire l’après-crise sanitaire ». Il n’y a donc aucune marge de manœuvre pour ajuster la stratégie du Groupe, nos priorités aux impacts de la crise et en particulier pour aménager nos trajectoires financières. Mais alors, quelle sera la place laissée à l’humain dans ces chantiers ? Les salariés devront-ils continuer, quoi qu’il leur en coûte, à se mettre en conformité avec ce qui leur est présenté comme impératif et indiscutable, comme ils ont dû le faire tout au long du confinement ?
La première « piste de travail » du « think tank d’anticipation » mis en place par Fabienne Dulac part du constat que « seulement 25 % des salariés qui étaient dans l’entreprise en 2015 seront encore là en 2025 ». C’est donc bien sur la capacité d’adaptation des personnels que tablent les animateurs de ce laboratoire d’idées pour atteindre leurs objectifs, pas sur des emplois et des moyens supplémentaires. Ils se proposent par ailleurs de « sortir des conventions » et de « casser les codes ». Mais nous rappelons qu’adaptabilité ne signifie pas ingénuité. La jeune génération, pas plus que les « salariés plus expérimentés », n’acceptera la dégradation de ses conditions de travail et le manque de reconnaissance.
FOCom, plus que jamais, est vigilante. La direction annonce une « nouvelle organisation repensée après la période de crise sanitaire d’une ampleur inédite ». Pour nous, cette nouvelle organisation doit mettre au centre de ses priorités les dimensions sociales, humaines et environnementales. Très concrètement cela signifie dans l’immédiat d’abandonner les open-space et le flex office, de contractualiser un nouvel accord télétravail protecteur des droits et des conditions de travail, de favoriser le collectif et le lien social, de sanctuariser un dialogue social de qualité… Cela doit également se traduire par une politique de rétribution ambitieuse avec, pour commencer, l’octroi d’une prime de reconnaissance de l’engagement de tous. Nous espérons que Gervais Pellissier, dans son nouveau costume de directeur des ressources humaines et de la transformation du Groupe, sera attentif à nos revendications et oubliera ses réflexes d’ancien directeur financier.